Faut-il rester en couple pour les enfants?

Interview dans Psychologies propos recueillis par Claire Séjournet

Prendre la décision de divorcer n’est pas simple, surtout lorsque l’on est parent. Face au traumatisme que la séparation peut représenter pour les enfants, certains font le choix de rester en couple. Mais à quelles conditions est-ce réellement positif pour l’enfant ? Et à quel prix pour les parents ?


« Se séparer est un acte lourd de conséquences, pour soi et pour les enfants, constate Sabrina de Dinechin, médiatrice familiale. Pour l’adulte, c’est le deuil d’une vie de famille telle qu’il a pu la projeter, pour les enfants, les choses ne seront plus jamais pareilles. Leurs parents ne vivront plus jamais ensemble, sous le même toit, avec eux. » Imposer un tel déchirement aux enfants peut faire culpabiliser.

Mais un autre élément doit entrer en ligne de compte : « on sait que l’enfant a besoin de vivre dans un environnement stable, cohérent et sécurisant pour se développer, souligne le Dr Anne Raynaud, psychiatre et auteure de La sécurité émotionnelle de l'enfant (éditions Marabout). Si un couple est en souffrance, cette souffrance prend le pas sur bien-être de l’enfant ». Dès lors, si la décision de se séparer est forcément douloureuse et difficile, elle est parfois la solution la plus pertinente.

Cas de figure 1 : rester et faire semblant

Certains parents vont faire le choix de prendre sur eux, pour ne pas se lancer une discussion qui peut faire mal avec leur conjoint. C’est certainement la pire solution, pour tout le monde. « On ne prend pas seul la décision de rester pour les enfants », assure Sabrina de Dinechin. Si on se tait, on ne peut pas en vouloir à l’autre puisqu’il ne sait rien de notre souffrance. En même temps, « on se fait du mal, on s’annihile ». Et on peut finir par en vouloir à ses enfants, en se disant que s’ils n’étaient pas là, on serait déjà parti. Une pente glissante qui peut mener à développer une relation toxique avec eux, sans compter la souffrance psychologique que l’on s’inflige, souligne la médiatrice familiale.

Se forcer à rester est même contre-productif : l’enfant que l’on cherche à protéger vit en réalité très mal la situation, car il sent que l’un de ses parents ne va pas bien. « Si ses parents sont en insécurité, ou même un seul, explique le Dr Raynaud, cela va beaucoup insécuriser l’enfant. Or, la théorie de l’attachement insiste sur le fait que la sécurité émotionnelle de l’enfant est essentielle à son bon développement. »

Si l’on reste mais que la tension s’installe, ce n’est pas mieux. Rien de pire en effet pour un enfant que de vivre dans un environnement conflictuel, ressenti comme une menace. « Les conflits parentaux sont souvent des conflits éducatifs, note de plus la psychiatre. L’enfant entend que ses parents ne sont pas d’accord sur un point dont il est au centre. Il va penser qu’il est à l’origine du conflit, que c’est de sa faute, et culpabiliser. Les enfants culpabilisent très facilement dans ce genre de situation ! Il est important de le rassurer et de lui dire que ce n’est pas de sa faute si les grandes personnes ne s’entendent plus. » Techniquement, les conflits éducatifs ne sont pas liés à l’enfant, précise le Dr Raynaud, mais à l’entrée du couple conjugal dans la dimension de couple parental : « Le couple peut s’être très bien entendu tant qu’il n’avait pas d’enfant, mais la parentalité révèle des différences de visions éducatives. Ce n’est donc pas l’enfant qui divise, mais la parentalité ».

Cas de figure 2 : rester en cohabitant, mais sans mentir à l’enfant

Les enfants ne sont pas un ciment du couple. Il est donc impensable de faire peser sur eux la décision de rester ou non. « Vous imaginez le poids que cela représente sur les épaules d’un enfant ? C’est effroyable », s’exclame Sabrina de Dinechin, qui précise : « les difficultés dans le couple ne regardent pas les enfants, c’est aux adultes de les surmonter, de se faire aider. Les enfants n’ont pas à être au courant ». Le Dr Raynaud abonde dans ce sens : « les animosités d’adultes doivent rester dans la sphère des adultes. Le conflit est source de dégâts pour le développement du cerveau de l’enfant. Il faut donc le préserver et éviter de l’impliquer dans les problèmes du couple conjugal ».

On peut choisir de rester ensemble alors que les sentiments ont disparu, mais cela se fait à certaines conditions. « Les parents peuvent être capables de cohabiter, grâce à la force de l’habitude et une certaine capacité à se supporter, assure Sabrina de Dinechin. Ils savent éviter sujets qui fâchent, organisent leur vie de leur côté… Cependant, cela implique que le couple soit capable de communiquer, parce qu’il faut se mettre d’accord sur de très nombreux points pratiques du quotidien ».

« On peut vouloir faire des efforts, parce qu’on a des valeurs familiales fortes, parce que les enfants sont là, ajoute la médiatrice familiale. Mais il y a une limite, ténue, entre les efforts et la souffrance. Si on a l’impression que c’est toujours nous qui faisons des efforts, on ne tiendra pas longtemps sans souffrir. Il est donc important de poser des conditions claires, et d’en parler régulièrement. Il n’est pas égoïste de revenir un jour sur sa décision de rester pour les enfants si on n’a plus la force de faire face à la situation. »

La première chose à faire est donc de clarifier la situation avec son conjoint puis de trouver un nouvel équilibre relationnel et une nouvelle organisation à la maison. Cohabiter quand les choses sont claires pour les adultes, ce n’est pas mentir à son enfant. Cela implique par contre une mise au point avec lui. « Les parents peuvent lui dire qu’ils ne s’aiment plus comme avant, mais qu’ils ont envie de rester ensemble quand même » résume le docteur Raynaud. Ainsi, l’enfant comprendra mieux que ses parents fassent désormais chambre à part. Et s’il voit que cela permet de retrouver de l’harmonie, il sera même rassuré : l’unité familiale est préservée.

Cas de figure 3 : se séparer en préservant l’enfant

Le couple conjugal est à l’origine du couple parental. Mais alors que le premier peut se défaire, le second ne peut pas disparaître totalement. Au fond, lorsqu’on se sépare, on ne se sépare pas de tout : l’enfant reste un lien entre ses deux parents. « On fait trop souvent l’amalgame entre le couple conjugal et le couple parental, regrette la psychiatre. Pourtant, le couple parental n’est pas forcément en difficulté s’il n’y a plus de couple conjugal. On peut ne plus aimer son compagnon, mais être responsable et soucieux de maintenir l’équipe parentale ».

« Il y a beaucoup de gens qui se séparent et ça se passe bien, il y a aussi beaucoup de gens qui se séparent et ça se passe très mal, constate Sabrina de Dinechin. Dans le second cas, c’est mauvais pour les enfants. Mieux vaut se séparer en bons termes, avant que ce soit une guerre. ». En effet, au-delà de vivre ou non sous le même toit, l’important, c’est que les enfants sachent que leurs parents seront toujours là pour eux. Ce qui implique d’être capable de se parler même après la séparation.

C’est même là tout l’enjeu dans un divorce, insiste le Dr Raynaud : « Aujourd’hui, on sait que l’enfant a besoin de vivre dans un environnement stable, cohérent et sécurisant pour se développer. Ce qui compte pour lui, c’est comment l’équipe parentale peut l’entourer, avec quel calme, quelle sérénité. Mieux vaut donc se séparer intelligemment et être capable de se mobiliser ensemble pour son enfant, plutôt que se forcer à rester ensemble et se déchirer à longueur de journée ».

Pour aller plus loin

Le Dr Anne Raynaud est psychiatre et auteure de La sécurité émotionnelle de l'enfant (éditions Marabout).

Sabrina de Dinechin est médiatrice familiale, elle a écrit plusieurs ouvrages, dont Rester parents après la séparation (éditions Eyrolles).


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